La libération par l’armée du crime

C’est week-end et il y’a quelque chose qui cloche. Certes on a cuisiné des pieds de porc, ceusses du voisin qui élève des gascons en plein air, certes on a cuit un gros poulpe de roche, celui qu’était à 5 euros le kilo au marché de Thuir, certes on a cuisiné de la queue de bœuf, coupé quantité de légumes, fait la sieste, bu des coups, écouté des vinyles.

Mais c’est justement ça qu’est bizarre : on a rien foutu. Novembre est grand et beau comme novembre : tout bleu pâle et venteux et froid dans le matin tôt (oui c’était mieux avant le décalage horaire, les soirs oranges sur les vignes et les Corbières etc…). Et on a rien foutu. Pas un coup de sécateur, pas un coup de pioche.

Oui, oui, il y aurait bien quelques ronces qu’on aurait pu, quelques chênes qu’on aurait du. Mais non : on a fait novembre à la cheminée, avec de la viande qui grille. Quelques fous furieux ont commencé à tailler sur des vignes qui n’ont pourtant pas perdues leurs feuilles. Nous, ben non!

Et tu sais pourquoi on a rien foutu? Ben parce que en cave, ça y est, c’est fini. Les sucres finis. Les malos (cette autre « fermentation » qui est en fait pas vraiment une fermentation mais on s’en fout, une « décarboxylation enzimatique » si tu veux savoir) quasi finies. Plié. Tout descendu le week end dernier, le 11 novembre exactement dans des gros 500 litres qu’on a récupéré d’un domaine bien prestigieux voisin. Tout en fût, carapaté.

Le premier bout de carignan, celui qu’on a ramassé un peu dans l’urgence les tous derniers jours de septembre, 500 litres finis. Le deuxième bout des Pradels, celui qui a été  ramassé avec une paire d’entre vous et quelques belges de circonstances (incroyablement gentils et chouettes en plus d’être de circonstance) en octobre, fini, plus qu’un gramme de sucre, malo faite, 0,5 de volatile (un truc qui picote quant y’en a en sus). 6OO litres en tout, 5OO litres dans le bois, 100 en cuve. Et le Pla, celle qu’on a  ramassé l’après-midi, presque pareil, 220 litres en fût de deux ans. Un mois pile de cuve pour tout finir (=un mois pour les fermentations), entre deux semaines et 3 semaines sous marc (sous marc veut dire macéré avec la matière avant pressurage).

Vendangeurs

 

(Les anonymous font aussi du pif)

 

Bon, 14 hectolitre/hectare c’est un truc à faire rire un alsacien, mais chez nous, et ben c’est le tarif et c’est pas trop malheureux.

La morale de l’histoire est donc que quand t’en chies méchamment à la vigne, sous le déluge, et ben en cave tu te la coules douce : tout le roussillon non-tricheur raconte la même histoire. Des comportements fermentaires inouïs. Quand la vigne n’a pas à puiser dans ses réserves sous la cagnasse, et ben les jus se comportent comme dans les régions moins arides de ce pays. Et ils tournent, ils ronronnent comme des moteurs de chenillard.

Si on l’avait su, on se serait pas inquiété. Bon on s’est inquiété quand même. Et maintenant voilà : on est tout mou, on brûle des bûches, et j’avoue qu’on est assez heureux de cette conclusion assez heureuse elle aussi, et plus ou moins inespérée (il y a des cépages, comme le carignan, notre chouchou, qui ont toujours tendance à bien dévier en cuve, comme ça pour rire. Donc les années propres, ben, c’est un peu neuf).

Que dire de plus? S’il fallait définir le millésime, disons qu’il est surprenant. Mais ce qui est bien dans le roussillon c’est que chaque année te surprend : 2009 les chênes blancs crèvent par la sécheresse, 2010 est tardif mais chaud, 2011 est le millésime le plus prolifique du siècle sûrement, des raisins comme dans un rêve, une chiée, 2012 chaud, 2013 très tardif avec des acidités bien souvent intordables en altitude, et 2014… Heu 2014. Je t’explique : en règle générale tu attends que tes tanins soient mûrs, tes sucres et tes jus aussi. Et tu cherches un équilibre sucre/acide/tanin pour le dire vite.  Ben là, les cépages méditerranéens, surpris d’être tant arrosés entre chaque coup de soleil, ils ont bien mûri les peaux et les rafles, et les pépins.

Reste les sucres et les acidités : à chaque pluie ils ont fait le yoyo. Tu gagnes un point de sucre, tu le perds lors d’une averse, tu le regagnes, tu le reperds. Et pas de vent pour concentrer les jus alors… le temps est long. Et les acidités sont tellement diluées que tes raisins te paraissent sucrés, mais le réfractomètre t’indique 11 ° d’alcool potentiel. Avoue que 11°, pour le roussillon, ça fait chiche le carignan à 15hl/ha sur granit. Des coups à se faire traiter de sous-maturiste (tendance « vignoble du sud » depuis qu’on a le vent en poupe).

Résultat on a ramassé comme on a pu et voulu (c’est l’avantage d’être deux, on se chipouille mais ça permet de trouver une forme d’équilibre au fond). Et donc : à l’analyse ça dit quoi? 12,5° à peu près, un peu moins parfois, 12° quoi. C’est faible. Et des pH de 3,8… des pH de surmaturité (pour un piémont au frais hein…)… c’est à dire qu’on a à la fois pas d’alcool ET pas d’acidité. Soit : si tu voulais de la fraîcheur fallait ramasser à 10,5°, et si tu voulais les 13° réglementaires tu pondais les vins les plus molasses de l’histoire de l’humanité. Quelle drôlerie! Le millésime le plus flou de ma vie! Le sachant on aurait pu extraire comme des bourrins. Ne le sachant pas trop, on  a pondu un vin un peu timide, sans excès, sans fruit exubérant, sans tanins, sans acidité et sans alcool. Moi qui me moque bien souvent des carbos (la macération carbonique est un procédé bien connu du beaujolais et du « nature » qui consiste à inerter (CO2 à la place de l’air) des raisins en grappe entière – non éraflés – pour extraire du fruit massif mais pas de matière) métrosexuelles, des jus « primeurs » tout veule… me voila servi. La trouille des débutants! Mais bon c’est propre, et l’élevage va peut être révéler un truc qu’on a pas vu venir… Et surtout c’est net (merci aux trieurs pointilleux!).

 

Bref, voila venu le temps ou l’espoir remplace l’inquiétude : soit les vins sentent un peu le réduit, le pet en fait, même après soutirage (fait de virer le jus de la matière qui a précipité), sont un peu mous, mais il ne peut a priori plus trop rien leur arriver (sauf des bretts et des souris en fait, c’est à dire des goûts dégueulasses, mais sur lesquels on a peu de prise – les bretts sont des levures pas aimables bien courantes dans le bordelais chimique, la souris une triste déviance des vins dits « nature » donc avec peu de soufre, qui donne une arrière-bouche de beurre-cacaouète-souris morte, bien connue à Latour). Espérons que l’hiver les révèle, et bientôt abreuverons vos gosiers du fruit heureux de votre travail! Youpi! Nous aurons tout, demain matin!

ps : et déjà on visite une vigne voisine, un peu à vendre. J’te dis le pitch vite fait : un carignan centenaire, 1 hectare 40, en terrasse, plein sud, à 450 mètres d’altitude, pleine vue sur la montagne sacrée. On tricote avec le vendeur. Arriverons-nous? Ah, c’est une autre histoire… Une histoire à 10 k-euros…

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